Esperez le meilleur,
preparez-vous au pire.

Marc revint enfin, il avait l’air exténué et posa tout ce qu’il portait sur le dos. Le sac fit un doux bruit de conserves : à manger, enfin ! Je l’apostrophai :

- Alors ? C’était comment dehors ? Qu’est-ce que tu as vu ?


Il se laissa tomber lourdement pour s’installer au sein du cercle inquiet et se lança sans se faire prier :


- Du Vert, un vert sombre s’insinuant sous les portes, dans les murs sous les vêtements, comme un gaz. On n’y voit pas à vingt mètres dans cette purée de pois. Comme aux Etats Unis, aux infos. Vous vous rappelez quand ils nous disaient que ça ne traverserait pas l’océan ? Putains de menteurs ! Heureusement, le gaz reste à distance des fils électriques comme s’il ne voulait pas se faire électrocuter.
Du coup, on a suivi la ligne haute tension, ça faisait comme un tunnel en dessous, pareil qu’ici, mais elle s’arrête avant la ville. Et bien sûr, pas une habitation sous la ligne, tu m’étonnes, personne ne veut de ça dans son jardin. Forcément, ça ne nous arrange pas : pas de bouffe, pas d'essence, pas d’eau. Il a bien fallu qu’on entre dans le nuage. On l’a fait vers Givors, et je peux te dire que si c’était à refaire, on ne le referait pas. Déjà à cause de ce foutu brouillard, on n’y voyait rien, mais le pire, c’était le silence. Ici encore on entend les gens, là-bas, pas un insecte. Rien. D’ailleurs l’électronique a rendu l'âme en quelques minutes. On avait encore du jus mais quand on a ouvert le téléphone de Lucas pour faire une photo, tout semblait fondu à l'intérieur, pas le fer, mais tous les composants.
Moi, je me suis protégé comme j’ai pu, j’ai ma bouteille de plongée mais Lucas a commencé à péter les plombs au bout d’une demi-heure de marche. Il semblait distant et regardait à peine là où il mettait les pieds. Il s’est mis à rire et à pleurer en même temps. J’ai essayé de le bouger mais il s’est mis en colère pendant quelques secondes et s’est réfugié dans un renfoncement rocheux. Je me suis dit qu’il m’attendrait là et j’ai continué.
En ville, je m’attendais à trouver des morts, mais rien. En fouillant les maisons, J’ai trouvé des gens terrés dans leurs caves marmonnant comme sous l’effet de drogues violentes. J’en ai secoué un mais il s’est jeté sur moi. Putain de dément. Son visage était rongé et ridé, ses yeux étaient comme des saloperies d’émeraudes. Son nez avait laissé la place à un bout de chair pendouillant sur un trou béant. Je l’ai rejeté en arrière et enfermé dans sa propre cave. En tendant l’oreille vers les soupiraux, j’ai entendu des centaines de lamentations sans queue ni tête. J’ai chargé mon sac et je te jure que je suis reparti sans demander mon reste.


Il s’arrêta là et tout le monde se concentra sur la nourriture distribuée. Quand je pense qu’il y avait un mois de ça, j’arrosais mes bégonias… J’avais bien vu aux infos qu’il y avait un problème chez les Américains, comme par hasard… Et puis, ils disparurent brusquement des écoutes. Le reste du monde suivit en quelques semaines dans le chaos le plus total.


Au moins, avec ce qu’il avait ramené, on avait des vivres pour une semaine mais certains ne répondaient plus quand on leur parlait et on avait tous une horrible migraine. Si le courant du pylône où on s’abritait était coupé, on mourrait tous dans l’heure. Cet endroit n’était pas sûr, d’autant qu’avec ce nuage la température allait chuter, il fallait qu’on se prépare à bouger… mais pour aller où ?


Marc reprit la parole une fois rassasié :


- Au fait, J’ai pas retrouvé Lucas au retour, il est vraiment pas rentré ?